Le management serait-il une passion française ? C’est en tout cas celle de nombreux dirigeants de PME françaises, et notamment celle de Carine Chesneau, dirigeante de la PME familiale Lambert-Manufil. Une vraie passion, composée d’énergie, d’audace, d’envies, d’organisation aussi et – pourquoi pas – d’amour. Portrait d’une dirigeante qui, au concept d’entreprise libérée, préfère celui d’entreprise libérante.
Lambert-Manufil est une PME industrielle qui, à première vue a tout d’une PME industrielle traditionnelle. Entreprise de tréfilerie (fabrication de fil d’acier et de clous – des « pointes » dans le jargon métallurgique), elle emploie 70 collaborateurs et génère un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros. L’entreprise, située à Couëron, près de Nantes, a été créée en 1924 par Paul Lambert et, depuis, est toujours restée dans le giron de la famille Lambert.
Une entreprise (presque) comme les autres
Qu’est-ce qui en fait donc une entreprise atypique ? Est-ce le fait que, dans un univers industriel typiquement masculin, elle soit dirigée par une femme ? Non. À bien y regarder, cela devrait être classique, et ça l’est de plus en plus. Est-ce le fait qu’elle soit restée familiale sur quatre générations ? Si, hier, ce n’était pas surprenant, il est vrai que cela tend à disparaître, dans un secteur industriel en souffrance. Mais non, là encore, ce n’est pas ce qui rend l’entreprise atypique.
Ce qui fait sa différence, c’est la personnalité de Carine Chesneau. Ne nous attendons pas à une sorte de PDG un peu punk, professant des idées iconoclastes qui révolutionnerait le petit monde de la tréfilerie ! Non, Carine Chesneau est tout simplement une dirigeante passionnée et engagée qui, comme tout passionné, s’engage à fond dans ce qu’elle fait, pour que ce soit bien fait. Ainsi, rien ne la prédestinait à reprendre les rênes de l’entreprise familiale, et cela ne l’intéressait pas particulièrement (même si elle confesse avoir toujours été intriguée par cette entreprise et l’histoire qu’elle véhiculait). Mais c’est parce qu’un poste correspondant à son profil gestionnaire se libérait, et que son père, précédent dirigeant, envisageait sa retraite, qu’elle saisit la balle au bond, et s’engage dans la voie de la succession.
Aller chercher les savoirs managériaux
Et c’est là que la passion intervient et apporte sa touche particulière au management de cette PME. Parce qu’elle veut être une dirigeante efficace et pro, et qu’elle sait que pour y parvenir, elle a encore beaucoup à apprendre, Carine Chesneau n’hésite pas aller chercher les savoirs managériaux là où ils se trouvent, c’est-à-dire chez ses pairs. Elle s’inscrit donc au Centre des jeunes dirigeants (CJD) et, en contrepartie de son engagement, y reçoit conseils et idées. Comme elle le dit joliment, « j’y ai appris à mettre en musique l’organisation, la stratégie, les projets, le management. J’ai fait des choses que je n’aurais peut-être pas faites sans le CJD, comme de la croissance externe par l’ouverture d’agences. Voir d’autres dirigeants agir m’a donné confiance en moi ».
Pour elle, les qualités cardinales du dirigeant sont le reflet de sa propre personnalité : aimer les équipes et les gens qui les composent, savoir se projeter sur un objectif, être organisé, avoir de l’audace, susciter l’envie d’avancer. Et aussi ne pas avoir d’aversion pour le risque, car l’imprévu fait partie du quotidien du manager ! Mais comme rien n’est parfait, elle se reconnaît aussi quelques travers : un perfectionnisme qui peut lui jouer des tours, une envie d’aller vite, alors que tout le monde n’avance pas au même rythme. « Mais je m’adapte ! Je sais que tout changement mérite un peu de temps », admet-elle.
Le collaboratif permet d’impliquer tout le monde, sans exception
Son quotidien de dirigeante est rythmé par la rencontre avec les équipes, pour être au cœur des projets, comprendre les missions et trouver les moyens nécessaires à leur exécution. Pour que cela fonctionne, il n’y a pas de mystère : le collaboratif doit s’insinuer partout, parce que c’est le seul moyen d’impliquer tout le monde. Ainsi, un group WhatsApp dédié maintient un contact permanent entre tous les collaborateurs, y compris ceux des agences les plus éloignées, et un journal numérique interne permet d’échanger petites et grandes nouvelles. Au niveau stratégique, des réunions sont organisées annuellement sur des sujets qui engagent l’avenir, avec des ateliers de réflexion conduits selon des méthodes d’intelligence collective. Tous peuvent ainsi donner leur avis sur la stratégie, échanger, interroger, proposer. Le collectif est une des valeurs de l’entreprise.
Avant de se libérer, l’entreprise doit libérer ses forces
Le mantra de Carine Chesneau ?
« Un collaborateur impliqué et autonome est plus performant, car il donne un sens à ce qu’il fait. S’il a une vision claire de là où l’entreprise va, ses efforts seront plus efficients. En plus, c’est plus agréable de communiquer et échanger avec les collègues, cela crée de la cohésion »
Elle tient cependant à conserver la maîtrise de la décision en dernier ressort, ce qui exclut Lambert-Manufil du statut d’entreprise libérée, auquel elle préfère donc celui d’entreprise libérante : confier de l’autonomie, de la responsabilité aux collaborateurs leur permet de se révéler, de se libérer des contraintes sclérosantes d’un carcan trop serré, ce qui attise les idées, et donc la performance. « Même si je tranche en dernier ressort, ils savent qu’ils peuvent me proposer des solutions et des argumentaires, et que je les prends en compte. Ils se sentent alors plus bâtisseurs de cathédrale que simples tailleurs de pierre », conclut-elle