L’ère de l’entreprise anonyme à responsabilité limitée s’achève, place à celle de l’entreprise infinie !
S’il y avait un seul enseignement à retenir de l’actuelle crise sanitaire liée au coronavirus, c’est qu’aujourd’hui, plus que jamais, des événements brutaux peuvent mettre à genou l’économie mondiale toute entière en quelques semaines. En matière d’instabilité, on ne peut pas faire mieux. Cela illustre très clairement les enjeux auxquels sont confrontés, dès aujourd’hui, les entrepreneurs. Des enjeux qui imposent une transformation profonde de l’entreprise – notamment la prise en compte de ses nouvelles responsabilités. Une transformation profonde, et permanente.
L’entreprise d’autrefois, fermement campée sur des fondamentaux qu’elle ne peut imaginer autrement que pérennes, l’entreprise « bulldozer », qui cherchait à produire le maximum de profits le plus rapidement possible et n’avait pas à se soucier de ses impacts sociaux et/ou environnementaux, n’a plus lieu d’être. L’entreprise du 19e siècle, qui encore aujourd’hui semble être la norme, vivait dans une sorte de bulle : elle concevait et testait ses produits seule, elle conservait jalousement secrets ses process et sa stratégie, elle ne voyait dans les autres entreprises qu’une menace, et ne comptait quasiment que sur elle-même pour se développer. Elle évoluait dans un environnement stable, rassurant, dont les limites étaient connues une fois pour toutes.
Ce n’est plus le cas. Les crises économiques, sociales, environnementales, et maintenant sanitaires, se succèdent désormais quasiment sans discontinuer. Ballottée dans tous les sens par les multiples bouleversements auxquels elle est désormais sans cesse confrontée, l’entreprise du 21e siècle se trouve maintenant devant l’impérieuse nécessité de se réinventer. Elle doit accepter les missions que lui confient les citoyens : produire mieux, consommer moins, ne plus polluer, ne plus piller les ressources, procurer du travail dans de bonnes conditions, assurer la sécurité et préserver la santé de ses salariés et de ses clients… L’ère de l’entreprise anonyme à responsabilité limitée s’achève, place à celle de l’entreprise infinie !
L’entreprise infinie, c’est un nouvel état de l’entreprise, une réponse au vœu de Klaus Schwab[*] et, en fait, au vœu de l’ensemble de la société :
« Nous vivons un moment grave de notre histoire […]. Les entreprises doivent s’impliquer en faveur de l’écologie et de la justice sociale, et se tourner vers un capitalisme de long terme, pas uniquement vers un rendement de court terme. »
Pour prendre en compte les nouvelles réalités économiques, environnementales, sanitaires et sociales, l’entreprise infinie se veut agile, adaptable, ne craint pas les remises en question, ne redoute pas les alliances, et questionne sans cesse son environnement. Schématiquement, elle agrège trois concepts en fin de compte assez classiques et de bon sens, pour servir un objectif de performance globale et responsable.
Le premier de ces trois concepts, c’est le « faire ensemble ». L’entreprise — tout comme l’entrepreneur, et même le collaborateur — ne peut plus agir seule dans son coin, tout simplement parce que la complexité croissante du monde impose la maîtrise de trop nombreuses compétences. Le dirigeant devra donc gérer le maintien et le développement des compétences internes, à commencer par les siennes propres : il se forme (en management, en stratégie, en développement personnel…), puis il expérimente ces nouveaux acquis, ce qui l’encourage à se former à nouveau dans une première « boucle de formation infinie ». Il lance ensuite une seconde boucle infinie en proposant à ses collaborateurs de se former, lesquels expérimentent à leur tour, puis retournent se former… Un mouvement infini qui permet de développer dans l’entreprise un haut niveau de compétences.
Le deuxième, c’est le « faire envie ». Face à une société qui attend de l’entreprise qu’elle joue un rôle sincère et citoyen, elle aura à cœur d’offrir du sens à ses collaborateurs. Ses derniers ne veulent plus se contenter de gagner leur salaire à la sueur de leur front. Ils veulent y trouver du plaisir, du bien-être, et s’accomplir en tant qu’individus membres d’un collectif partageant des valeurs communes. Parmi ces valeurs, figurent en bonne place le bien commun, l’environnement ou la citoyenneté, mais également l’éducation, l’inspiration, la vision de l’avenir, et toute autre valeur tendant à inscrire l’entreprise dans un projet durable et respectueux.
Enfin, le troisième concept est celui du « faire grandir ». Faire grandir en interne : parce que l’univers dans lequel l’entreprise évolue change en permanence — et parfois de façon chaotique —, il est indispensable de mettre à jour, quasiment en temps réel, les savoirs de ses forces vives, et d’accroître leurs niveaux de connaissances. Et puis faire grandir en externe : prendre en compte les temps différents des collaborateurs, des fournisseurs, des clients, des actionnaires, et les agglomérer les uns aux autres pour constituer un temps global, « augmenté », qui replace l’entreprise en cohérence, en symbiose avec son écosystème, avec une vision élargie.
Mis en musique par le dirigeant, ces trois « états » de l’entreprise du 21e siècle — l’état « collaboratif », l’état « désirable » et l’état « augmenté » — répondent aux nouvelles responsabilités que la société assigne désormais à l’entreprise, et à chacune de ces responsabilités correspond un levier de performance : responsabilité économique, sociale, environnementale et sociétale. La concomitance de ces différentes responsabilités constitue la performance globale de l’entreprise, à l’aune de laquelle elle sera évaluée par son écosystème.
L’entreprise infinie, c’est celle qui dure dans le temps, qui dispose de racines profondes, et qui possède une vision. Elle fait envie, pour attirer des talents, des clients, des fournisseurs, des parties prenantes. Elle se transforme avec le temps afin de poursuivre son développement. Elle fait grandir ses collaborateurs. Elle fait « avec » les autres, et non contre eux. Elle se soucie de son écosystème et de son environnement, naturel comme humain. Elle agit « ensemble », pour aller plus loin vers l’infini. Et au-delà ?
Gaëtan de Sainte Marie
Président fondateur de QANTIS (la plateforme collaborative des entreprises françaises)
Co-auteur du livre « Ensemble on va plus loin »
[*] Klaus Schwab est le fondateur du Forum économique mondial, qui se réunit chaque année à Davos (Suisse)